L’EP XX est finalement sorti ce vendredi 13 mars. Ce cadeau, encore une surprise il y a quelques mois, s’ajoute fièrement à la discographie de Superbus. Découvrez notre review.
Comme la plupart des volets précédents du groupe, les thème d’XX sont centrés sur les relations humaines. Ici, on se situe entre la rupture, la passion et la confrontation au fil des titres. Si ces sujets ont déjà été abordés dans de précédents sons, l’écriture particulière de XX les renouvelle et leur donne une saveur différente. Ils paraîtront peut-être plus durs, ou simplement plus saisissants. Le vocabulaire devient plus direct (Silencio, High), les métaphores plus sombres, voire glaciales (La Patinoire, Dans Tes Yeux), et assemblés, les textes forment un ensemble très poignant, que l’on a l’impression de vivre et de sentir (Hors Jeu s’ouvre sur « ça me prend à la gorge »). Malgré l’évolution drastique du style, on relève les clins d’oeils, volontaires ou non, aux précédents opus. Ainsi, les « call her » de Silencio nous font imaginer une réponse à Lola, une sorte de dark Lola/Nelly (confirmée par les roses, le bain et le téléphone du clip ?) tandis que La Patinoire se vit comme une version hivernale de L’été n’est pas loin, où le sable a laissé place à la glace, et où les métaphores sensuelles se sont adaptées à la saison.
Superbus nous a habitué à avoir des concepts autours de leurs albums. Et si les visuels autour de l’EP, l’intro et le clip de Silencio nous avaient laissé croire qu’il serait plutôt sur un ton biblique, finalement c’est plutôt vers le sport que se sont tournés la plupart des habituels jeux de langage et de mots dans XX. Cette écriture si singulière à Jenn se retrouve dans les nombreuses métaphores filées d’une chanson à l’autre. Hors Jeu en est l’exemple le plus évident, puisant dans le vocabulaire du foot et de l’affrontement de deux équipes pour exprimer l’affrontement de deux personnes. High n’est pas en reste car on y retrouve les « tacles » et les « passes » pour imager le jeux des relations humaines, parfois douloureuses. Une fois le terrain gelé on prend la direction de La Patinoire pour glisser sur la pente de la passion. Les patins peuvent êtres roulés ou à glace, leurs lames deviennent des larmes, et la figure artistique du double axel devient « mon doux Axel ». On se régale avec tous ces jeux de mots car c’est vraiment typique à l’écriture de Jenn. Et quand ça glisse plus, ça déraille, à l’image de Dans Tes Yeux aux paroles simples mais extrêmement efficaces, qui concluent l’EP par « je plonge et je me noie ». Aïe.
Le son de XX, lui, est particulièrement original, voire provocateur. C’est sûrement l’une des caractéristiques centrales de Superbus : le groupe n’a pas hésité par le passé à oser un refrain constitué de « boum boum boum », à sortir les grosses guitares pour reprendre Madonna et à écrire un titre intitulé « Baisse ton froc »… Depuis sa création, Superbus ose et surprend, et c’est un plaisir de constater que pour leur 20 ans, ils ne sont pas décidés à s’arrêter et ne se sont pas assagis ! Ainsi, pour XX, ils se sont permis de marier le rock à l’électro en travaillant avec un compositeur et producteur issu d’un groupe de rock électro, Benjamin Lebeau de The Shoes, et… un DJ. Ce DJ, Mosimann, a fait les arrangements de High. Il était justement cette semaine en interview dans Aficia, disant « Jennifer Ayache m’a dit qu’elle aimerait bien quelque chose de différent, de plus moderne. » Moderne, XX l’est résolument avec cette production qui fait presque avant-garde. Mais, dans le même temps, XX laisse voir sa nostalgie sur de nombreux aspects : dans le son parfois très 80s, dans ces paroles qui retracent une période difficile, mais aussi, bien sur, sur la cassette VHS de la pochette, symbole pour beaucoup d’entre nous de l’époque plus douce qu’était l’enfance. Quand à différent, ça ne fait aucun doute que XX l’est. Le son résultant de ces collaborations ne ressemble en rien à tout ce que l’on a déjà pu entendre dans le rock ou l’électro… XX est ainsi une vraie surprise et innovation musicale, chose que peu de groupes osent faire au bout de tant d’années, surtout pour célébrer leurs vingt ans. Il aurait été plus facile pour Superbus d’aller sortir des cartons de vieilles compos de Wow et de s’assurer ainsi du soutien de leurs plus anciens fans et d’un plus grand potentiel commercial. Mais non, Superbus prends de l’avance et sort de sa zone de confort, de la zone où ils sont attendus, tout en restant… Superbus. En quelque sorte, Superbus 2.0 !
Hors Jeu est certainement le titre où ce son Superbus 2020 est le plus marqué : le refrain pop très « Superbus » s’enchaîne avec un pont électro bien loin de tout ce qu’a pu produire le groupe jusqu’à maintenant… avant de renchaîner avec un couplet. Ces effets sont à retrouver dans High, qui est déroutante mais s’apprécie particulièrement au casque (ou peut être aussi sur scène avec 40 haut-parleurs et une dizaine de basses, mais on a pas testé encore). Ces jeux de cassure musicale font parfaitement écho aux thèmes abordés, aux sentiments contrastés qui émanent des textes. On retrouve aussi un contraste entre les paroles parfois sombres et la musique dansante : Dans Tes Yeux en est le parfait exemple. Sur Silencio, les cassures se font entendre au sein même du chant : le texte est en majorité parlé, ce qui nous raccroche à ce qui se fait beaucoup dans la musique pop actuellement, mais les « call her » finaux, puissants et entêtants, nous raccrochent à l’ADN du groupe. Au niveau musical, les guitares sont mêlées à des sons sibyllins ouvrant l’univers de XX : Jenn devient une mystérieuse sybille et nous ouvre les portes d’un Superbus plus mystique ? Enfin, il y a La Patinoire, parfaite fusion entre toutes les époques musicales de Superbus. Basse marquée à la Apprends-Moi, guitares passant d’une production léchée à la Wow devenant ensuite saturées façon Sunset, douce électro que l’on avait déjà pu côtoyer à Sixtape, sans oublier un petit air popfiction comme Superbus aimait se définir il y a 15 ans. Par ces différences de textures, le style paraît moderne mais l’esprit Superbus lui donne un côté vintage, parfois joliment kitsch… bref, on ne sait plus très bien où l’on est (ou « qui est qui qui fait quoi ? »), un peu comme si l’on regardait un film tourné en 2020 au caméscope… ou si l’on contemplait avec émotion 20 ans de carrière qui sont passés bien vite. Vous l’aurez compris, chaque chanson est un complexe mélange de styles d’univers et d’époques. Ainsi, les titres sont en moyenne plus longs que les précédents du groupe. Et ce n’est pas pour nous déplaire !
Notons le aussi, une certaine brutalité émane de l’ensemble : textes durs, musique souvent explosive. Cette brutalité se retrouve dans la typographie du titre, deux croix, deux X griffonnés violemment au feutre rouge, peut-être une sorte de thérapie par l’écrit pour affronter le réel et tirer une croix sur le passé, un marqueur à la main. Voire un crayon ? Ces X étaient en effet de bons indices de ce que nous réservait le livret : les paroles écrites à la main laissent entrevoir dans Silencio un « tuer » raturé, remplacé par « mais qui tu es« .
Entre passion et affrontements, rythmes de DJ et esprit rock, on sort bouleversé de notre écoute. On a envie d’aller replonger dans les titres une nouvelle fois, pour se rassurer, essayer de comprendre un son, une voix chuchotée en arrière plan, des mots ambigus… XX est vraiment une oeuvre mystique, les visuels nous le rappellent, c’est une oeuvre que l’on n’arrivera jamais totalement à saisir tant les textes et les sons sont complexes et s’entremêlent. Cet EP n’est pas seulement quelques titres pour accompagner une tournée triomphante, c’est vraiment un chapitre particulier dans le son du groupe, qui ne laissera personne indemne. En attendant un septième album plus lumineux ?
Le sticker de l’EP nous prévient : « XX présente un groupe qui a su se réinventer sans pour autant renier son ADN ». Vous avez pu le constater, on est bien d’accord !
Léo et Laurie, doctorants bac +13 en Superbussologie